Petite planète, tome 1 : Leprest et Fontaine

Publié le par Jean Théfaine

« C’est bien beau d’aligner des nécrologies, aussi justifiées soient-elles, mais tu ne pourrais pas parler un peu des vivants ? » La lectrice de mon blog qui m’avait interpellé sur ce thème à la mi-janvier, et celle qui a remis ça ces jours derniers, ont mille fois raison. Voici donc le premier tome d’une sélection éclectique, sans calcul aucun, sans souci de calendrier et sans frontières, de mes dernières émotions discographiques. Pour ouvrir le bal, in french dans le texte, Allain Leprest et Brigitte Fontaine.

 

CHEZ LEPREST, “Vol. II”. Le volume 1 était paru fin 2007. Une quinzaine d’artistes (Olivia Ruiz, Daniel Lavoie, Jacques Higelin, Sanseverino, Nilda Fernandez, Jean Guidoni, Enzo Enzo…) y revisitaient le répertoire de ce monument de la chanson française qu’est Allain Leprest ; un artiste littéralement unique que Jean d’Ormesson qualifia un jour de « Rimbaud du XXe siècle » ; un génie de l’écriture, déchiré et déchirant, débordant d’une humanité désespérée et narquoise à la fois. La matière était tellement dense qu’un second volume est sorti. Tout aussi intense. Avec, au générique, dix-huit copains d’abord (La Rue Kétanou, Amélie-les-Crayons, Alexis HK, Adamo, Anne Sylvestre, Francesca Solleville, Kent, Jean-Louis Foulquier, Romain Didier…) qui vous arrachent le cœur avec des morceaux de vie qui s’appellent Arrose les fleurs, Le temps de finir la bouteille, Où vont les chevaux quand ils dorment, Le poing de mon poteLa retraite, La dame du dixième… Rien à voir avec les habituels hommages convenus à telle ou telle tête d’affiche vieillissante. C’est bien du Leprest qui coule ici, dru et flamboyant, par la voix de ses interprètes, dont il faut saluer le total investissement.




Si vous achetez ce formidable album, préférez sans hésiter l’édition avec DVD. Vous serez scotchés par l’émotion qui se dégage, deux heures durant, du spectacle “Chez Leprest” enregistré au Bataclan en mars 2008. Malgré un piano mixé trop en avant, qui perturbe l’écoute des textes, le grand Allain y crève l’écran avec sa belle gueule d’homme blessé mais debout, avec sa voix habitée de brisures si humaines. Mais la bande qui l’entoure ne manque pas d’âme non plus. De Daniel Lavoie à Romain Didier, d’Hervé Villard à Agnès Bihl, de Jehan à Fantine Leprest, sans oublier (indépendamment de ce que je dis plus haut) la si sensible pianiste Nathalie Miravette, c’est une chaude et poignante affection qui rayonne de cette fête fraternelle, tout entière au service des mots d’Allain le grand, si justement mis en notes par son complice Romain Didier. Si le mot indispensable a un sens, c’est à ce cadeau ciel qu’il faut l’accoler.

 

CD Chez Leprest, Vol II et DVD Concert du Bataclan. Tacet/L’Autre Distribution. Info importante: Allain Leprest sera le 8 mars, à 20 h, en concert exceptionnel au Casino de Paris. Il sera entouré par Michel Fugain, Amélie-les-Crayons, Anne Sylvestre, Clarika, Alexis HK, La Rue Kétanou, Claire Lise et Gérard Morel. En attendant, retrouvez-le 17 février sur France 2, dans l'émission Des mots de minuit (interview et deux titres live); dans la nuit du 17 au 18, sur France-Inter, dans l'émission Sous les étoiles exactement, pour un Spécial Leprest, avec Clarika, La Rue Kétanou et Claire Lise; le 3 mars à 17 h 30, sur RFI, Musiques du monde; en programmation sur FIP.  OK, c'est de la promo, mais celle-là vaut le coup...


BRIGITTE FONTAINE, “Prohibition”.  Après Kekeland (2001) qui l’avait remise en lumière, Rue Saint-Louis-en-l’île (2004) et Libido (2006), voilà Phohibition, un album stupéfiant de modernité… intemporelle. Plus le temps tourne, plus Brigitte Fontaine ramasse son écriture en images aigues comme des lames, crache ses colères, tempête contre les convenances qui dessèchent, se laisse aller à son tempérament libertaire et aux fulgurances qui lui ont souvent valu d’être qualifiée de folle. Un terme qu’elle rejette et avec lequel, pourtant, elle aime jouer elle-même. Une fois de plus, la dame de Saint-Louis en l’île s’impose comme une référence incontournable dans un paysage “chanson” où les tempéraments de feu ne sont pas légion (cf. plus haut la chronique sur Leprest, autre admirable balise).





Ce n’est évidemment pas un hasard si une jeune génération d’artistes se réclame de son insolence et de cette inépuisable capacité qu’elle a à se régénérer, avec la complicité de son compagnon Areski. Pas un hasard non plus si, dans cet album, l’imprévisible Katerine fait duo avec elle sur le très barré et irrésistible Partir ou rester ; si Jeanne Cherhal a accepté de jouer les choristes ; si le pianiste classique Jean-Efflam Bavouzet apporte sa touche aérienne et classieuse sur Harem ; si Grace Jones a accepté de croiser sa voix avec celle de Brigitte sur un envoûtant Soufi. Musicalement, Prohibition, réalisé par le Gallois Ivor Guest (producteur, notamment, du dernier… Grace Jones) flirte avec le rock et l’électro, “enluminé”par une petite bande d’Anglais issus de l’entourage de Brian Eno. C’est dire la qualité du “pack” et l’incroyable faculté de dame Fontaine à vampiriser tout ça dans son propre univers. Lorsque le disque se referme sur le percutant Je suis un poète, simplement “dit” à la façon dont un Ferré “disait”, on fait silence un moment. Chahutés en profondeur par l’éclair Fontaine, décidément foudroyant.

 

CD Prohibition, Polydor/Universal. 




 

 

 

Publié dans Toutes les musiques

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J
<br /> Cette émission est vraiment touchante.<br /> <br /> <br />
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