Mano Solo : la fin du combat
« Après Chichin il y a un an, Lhasa, Solo, l'ex de Cantat (1)... Dur dur le changement de décennie pour les bobos de la première heure (ceux nés entre 1975 et 1980) » Ce message est l’un de ceux déposés ce matin sur le site des Inrocks, en réaction à la mort de Mano. Il y en a d’autres, évidemment. Des déclarations de peine ou d’amour. Et puis une aigreur comme celle-ci, que je vous livre, fautes de frappe et d’orthographe comprises : « Paix a son âme ! Mais franchement ce blaireau nous a cassé les couilles avec ces rebellions a 10 balles, en canon avec son pote Borhinger les écorchés vifs de la bourgeoisie gauchiste Parisienne donneurs de leçons bien a l'abris du besoin. L'est meme pas foutu d'etre mort de son sida mais plutot de s'etre trop ravagé les veines a l'héro. Pauvre fils de riche... » Pauvre con toi-même, c’est à peu près le seul commentaire qu’on puisse accoler à ce genre de prose, même si il est révélateur des réactions pour le moins contrastées que générait l’écorché vif.
La vidéo ci-dessus est visuellement mauvaise, mais les propos de Mano Solo pèsent bon poids...
Car Mano Solo était l’archétype de l’écorché vif, terriblement – au sens tragique du terme – sincère dans ses élans, ses colères, ses noirceurs, ses désespérances. Je ne reviendrai pas ici sur le parcours cramé du fils de Cabu, qui vient de payer cash ses excès d’ “intranquille”. Sa bio, vous la trouverez déclinée en long, en large et en travers sur la Toile, avec gros plan, forcément, sur ce foutu sida qui lui bouffait les tripes depuis 24 ans et à propos duquel il ne supportait plus que les journalistes l’interrogent. Ici, j’ai juste envie de dire la tendresse que j’avais pour l’homme debout, si mince qu’on avait toujours peur de le voir se casser.
Le choc de Mano Solo, je l’avais d’abord eu sur scène, au Printemps de Bourges 1994, que je couvrais alors pour Ouest-France et Chorus. Dans Chorus (n° 8), j’écrivais ceci : « Le feu aux tripes, devant une salle venue pour Liane Foly, il a fait un authentique tabac. Visage mince, cheveux en arrière, jeans noir et tee-shirt de la même couleur découvrant quelques tatouages discrets, accompagné par six musiciens, il a imposé à l’énergie et à la conviction ses chansons de révolte. Proclamant haut et fort, comme un exorcisme : “Ce qui compte, ce n’est pas l’issue, c’est le combat.” Car Mano Solo – un mélange de Fréhel, de Damia et du grand Brel, cousinant avec le rock le plus brûlant – travaille dans l’urgence depuis le jour où, explique t-il, la camarde lui a frappé dans le dos en lui disant : je t’attends. Avec un rendez-vous non identifié sur son parcours de séropositif. Comment lui résister lorsqu’il vous fixe droit devant, le teint un peu pâle, en murmurant doucement : “Les gens qui ont la mort aux trousses et qui ont encore plein de vie à apporter, il ne faut pas les oublier.” »
Prenez le temps d'entrer ce titre...
L’été suivant, je découvrais vraiment son premier album, La marmaille nue, sorti en 1993, et deux chansons gravées à l’eau-forte : Toujours quand tu dors (« C’est toujours quand tu dors que j’ai envie de te parler et c’est toujours quand tu dors que je veux pas crever ») et Trop de silence (« Je reste dans le noir, il y a beaucoup trop de silence dans mes vacances »). Cette voix, cette diction, ces textes, c’était vraiment unique et, à la fois, ça parlait à tout un chacun avec une force brute. Depuis, j’avais croisé plusieurs fois Mano Solo. Notamment au festival d’Aix-en-Provence, en 2004, où il partageait l’affiche avec Miossec, et une illustre inconnue, Anaïs ! Le midi, on avait déjeûné ensemble sur le cours Mirabeau. Face à face, fondus dans une grande tablée de musicos et de copains, on avait longuement et paisiblement discuté de mille choses, sans magnéto ni stylo ; en simples humains, quoi. Le concert, comme d’habitude, avait été grand et fort. Tout comme le titre bouleversant – Les chevaux d’Aubervilliers - qu’il avait interprété le 10 octobre dernier dans le grand studio d’Europe 1, où il avait tenu à venir témoigner, dans une émission spéciale montée par Thierry Lecamp, de son soutien à la revue Chorus, fraîchement “liquidée”. Un mois plus tard, le 12 novembre, juste après son Olympia, Mano était hospitalisé. Janvier 2010, fin du combat.
(1) Kristina Rady, 41 ans, l’ex-femme de Bertrand Cantat, s’est suicidée dans la nuit de samedi à dimanche, à son domicile bordelais. Tragique sur toute la ligne, décidément. Et sans commentaire superflu.