Bashung : c’est la faute à Dylan

Publié le par Jean Théfaine

Autant le dire simplement : j’ai chialé quand j’ai appris la mort d’Alain Bashung. Comme j’avais chialé quand Ferré avait passé l’arme à gauche. Allez savoir pourquoi, mes émotions lacrymales s’arrêtent là, en dépit de l’importance qu’ont toujours eu dans mon paysage musical un Brel et un Brassens, dont j’ai pourtant vécu la disparition en direct. Trenet ? Que dire d’un monument lointain dont l’importance est inversement proportionnelle au capital de sympathie qu’il dégageait. Gainsbourg ? Sa fin de parcours cahotique m’avait vacciné contre tout débordement.  Bashung, lui, habitait mon panthéon depuis des lustres. Sans tapage, mais tellement là, si naturellement là, au côté de Léo et de Dylan, mes autres “tuteurs”. Alchimiste mystérieux d’une chanson à nulle autre pareille, qu’il réinventait sans cesse, à l’écart des modes et de l’agitation médiatique. Interprète hors sol dont le phrasé unique vous pénétrait aussi sûrement qu’un solo de Miles Davis ou de Chet Baker. Référence statufiée de son vivant, alors que l’homme, lui, n’aimait rien tant que la pénombre où se traque la note bleue.

Ceux qui ont vu Alain Bashung sur scène savent ce que densité veut dire. A Bourges, à Paris, à Carhaix, notamment, j’ai plusieurs fois eu l’occasion de le vérifier, d’en mesurer le degré d’intensité. Mais s’il est un seul moment que je devais garder au cœur, c’est le souvenir d’un concert quasi “clandestin”, en marge des Vieilles Charrues 2003. Invité pour la première fois au célèbre festival finistérien, l’hombre aux lunettes noires avait souhaité que les organisateurs lui trouvent dans les environs une chapelle où il pourrait décliner le très sacré Cantique des cantiques, en compagnie de sa compagne, Chloé Mons, et de son copain Rodolphe Burger.  C’est ainsi qu’un matin de juillet, les 150 chanceux qui avaient pu trouver place dans la chapelle Sainte Catherine, à Plounévézel, vécurent une sorte de temps suspendu, en état de grâce. 

Car c’était aussi ça, Bashung. Un humain terriblement humain, en quête perpétuelle de sens, probablement conscient de ce qu’il dégageait mais peu enclin à exploiter cette aura à son avantage, tant il était soucieux de sa propre liberté et de celle des autres. En janvier 2005, pour un dossier Dylan paru en mars suivant dans la revue Chorus, il avait accepté d’évoquer avec moi l’importance du monstre sacré dans son parcours personnel (sur son album Roman photos, paru en 1977, il avait enregistré C’est la faute à Dylan). Longuement, en choisissant ses mots, il m’avait parlé du choc, lorsqu’il avait quinze ans, de Blowin’ in the wind, sur Freewheelin, « cet album, où on voit Bob, qui porte un petit blouson de daim, marcher dans la rue avec une fille ravissante au bras.  Il chantait comme un salopard, il jouait de la guitare comme s’il en avait rien à foutre, il faisait trois notes à l’harmonica et c’était bouleversant. On avait envie de se l’approprier. Quand j’ai entendu ça, j’ai eu l’impression de voir et d’entendre le premier punk. On sentait qu’il voulait raser la planète, quoi. Ça donnait une folle impression de liberté. D’un seul coup, on se disait : ah, putain, c’est pas seulement une attitude, c’est quelque chose de plus profond. »

 

 

De Dylan, Bashung aura gardé jusqu’au bout une certaine idée de l’écriture et de l’intégrité, une démarche poétique qu’il ne veut pas confondre avec la poésie « qui est quand même autre chose » ; une part de mystère aussi, derrière laquelle il se protégeait mais qui a contribué à sa légende. Quelque part également, l’obstination qu’a eue l’artiste à se produire et à bâtir des projets jusqu’à son dernier souffle ressemble fort au « Never ending tour » entrepris par Dylan voilà vingt ans et qui, théoriquement, ne s’achèvera qu’avec la mort du marathonien. Alain le grand s’est éteint, laissant dans nos bottes « des montagnes de questions ». C’est sa réponse à lui à nos inquiétudes, et c’est bien ainsi.

 


 

Publié dans Toutes les musiques

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M
Bel hommage à Bashung et à la musique traditionnelle, je veux dire au passage de relais entre Bob Dylan et Alain Bashung (to trade en anglais, porter au delà). Juste te raconter, Jean une fable de la vie. Le dimanche 15 mars, pendant mon concert solo "tout proche" à Clamart, j'ai rendu un hommage à Bashung en chantant " Brest m'aime" et pendant les quelques accords où l'on entendrait Rory Gallagher, je baisse les yeux, puis les ferme en pensant à Alain Bashung et quand je les ouvre, je vois au fond de la salle ma fille Oanna comme une apparition. Je ne savais pas qu'elle viendrait. On ne s'était pas vu depuis l'hiver. J'étais ému... J'oserais dire: "célébrer la mémoire attire la vie"<br /> bien à toi Jean Melaine
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M
Bonjour Jean, c'est gr^^ace à Colette que je passe chez toi, je dois avouer que je connaissais trop peu Baschung pour être émue par son départ. Mais je comprends tout à fait ton émotion car j'aurais, et j'ai eu la même pour d'autres artistes disparus....<br /> <br /> Je reviendrais, mais je ne suis pas souvent sur le web en ce moment, alors si tu as une news letter, je vais m'inscrire....<br /> <br /> Bon week end
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M
Bashung encore un grand monsieur qui nous quitte!!
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E
merci milles fois pour ce texte émouvant, bravo pour ce nouveau blog... à bientôt, cordialement et avec toute mon admiration,<br /> Eric
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