Jean-Louis Murat, le dernier des Mohicans : « Je sens venir des temps de guerre »
C’est le 26 septembre qu’est sorti le nouvel album de Jean-Louis Murat (Scarlett Productions/V2 Music/Universal). Un Grand lièvre de remarquable cuvée, comme d’habitude. Comme d’habitude aussi, l’Auvergnat a multiplié les interviews dans nombre de médias de référence, engrangeant au passage trois clés dans Télérama et un 5/6 dans Magic. Et, comme d’habitude encore, il a pris la route avec trois musiciens ((Stéphane Reynaud à la batterie, Fred Jimenez à la basse et Slim Batteux à l’orgue) pour une tournée qui devrait s’étoffer de dates supplémentaires au printemps prochain. Perso, je m’inquiétais jusque-là du silence de l’animal, que j’apprécie depuis… un bail, et avec lequel je partage l’amour d’une certaine musique avec âme et racines. J’ignorais d’ailleurs qu’il avait été opéré de la vésicule biliaire durant l’été 2010 et que ça ne s’était pas très bien passé. C’est de cela et de bien d’autres choses, en laissant paisiblement filer la conversation, qu’on a longuement bavardé par téléphone ces jours derniers. En direct de son nid d’aigle d’Orcival, où il faisait un break en famille, entre deux dates de concerts. Chez moi, en Bretagne, le ciel était plus que maussade. Chez lui, face à la chaîne des Puys qui lui sert de décor journalier, il faisait « super beau. Pas un nuage ». Verbatim, ou presque, d’un entretien fourmillant de propos sensibles.
Photo Carole Epinette.
L’accident dont tu parles dans Je voudrais me perdre de vue, c’est ton opération de l’été 2010 ?
Pas spécialement. Disons que je me suis fait ma dépression annuelle. Mais ça fait longtemps que c’est comme ça (rires).
On t’a déjà posé cent fois la question, mais deux ans entre deux albums, c’est inhabituel chez toi. Le cours ordinaire des choses (un album par an, en gros) va t-il reprendre, ou c’est de l’histoire ancienne. Si oui, par choix, ou par obligation ?
C’est juste une histoire de maison de disques, tu sais. Depuis des années, elles n’arrêtaient pas de me bassiner : casse-cou, casse-cou. Dans le métier, l’idée c’est de faire un album tous les trois ans. Même tous les deux ans, ça ne suit pas. Si j’avais persisté à vouloir sortir un album par an, je me serais retrouvé sans maison de disques. Tu vois que ce n’est pas de mon fait.
Tu vas donc lever le pied ?
Pfff, j’aimerais bien trouver une autre façon de travailler. Car je n’arrête jamais d’écrire. Je fonctionne comme ça. Encore hier soir, j’ai écrit une nouvelle chanson dont je suis très content.
« Je suis comme un pommier qui fait ses pommes », m’avais-tu dit. J’imagine que, dans tes tiroirs, tu as au moins la matière d’un autre album ?
Bien sûr. Mais le contexte est devenu très particulier. Avec Labels et Virgin, j’ai eu la chance qu’ils acceptent un album par an. C’est terminé, ça. Je ne travaille plus du tout avec les mêmes gens et le business a changé. Je ne peux pas me battre contre les moulins à vent.
J’ai lu qu’une chanson s’appelait vraiment Grand lièvreet qu’elle a sauté au dernier moment parce que tu avais trop de choses sous le coude. Pourquoi avoir gardé le titre pour l’album ?
Je trouvais ça assez joli. Pendant les séances, j’appelais déjà l’album Grand lièvre. Des fois, ça change en cours de route ; des fois, ça ne bouge pas. Ici, c’est resté jusqu’à la fin parce que ça me plaisait.
Au premier comme au second degré, ce « Grand lièvre » c’est toi, « Le dernier des Mohicans »…
C’est tout à fait ça (rire) !
Je titrerais bien cette interview comme ça.
Ah oui, très bien ! Clairement, je suis un lecteur de toute cette littérature. Les écrivains de la prairie, comme Fenimore Cooper, j’adore.
Le premier poème que tu as appris par cœur, c’est vraiment Les petits lapins d’Emile Verhaeren ?
C’est vrai. Je m’en souviens très/très bien. Ça a été comme un déclic de vocation. J’étais petit. Je devais être en troisième année de maternelle. La poésie, je ne savais pas ce que c’était, je n’en avais jamais lu. Un jour, la maîtresse a écrit au tableau le poème de Verhaeren. J’étais absolument émerveillé. Je me suis dit à ce moment-là : “ouah, c’est ça que je voudrais faire quand je serai grand”.
Tu as plutôt bien suivi la piste.
(Rires) Oui, maintenant que j’y repense. Des fois, ce sont des petites choses comme ça qui font bouger les lignes.
Grand lièvre n’est pas spécialement dans la continuité du Cours ordinaire des choses. Musicalement, on est même sur une autre de tes nombreuses planètes. A quel moment cette voie-là s’est-elle imposée ? Et pourquoi ? Besoin de te ressourcer au cœur de tes grands espaces à toi, après la déception (je parle en terme d’accueil public) de ta cavalcade dans les grands espaces américains ?
J’avais à la fois très envie et très peur de retourner à Nashville. Enfin, peur, j’avais tellement d’appréhension que j’anticipais l’accueil des musiciens, pour que ce soit supportable. C’est vrai que si j’étais retourné là-bas, c’est pas avec Le chanteur espagnol ou des chansons de ce genre. Ça n’aurait pas du tout marché. Avec Grand lièvre, j’ai fait des choses beaucoup plus dans ma nature.
Tu n’exclus donc pas un nouveau voyage à Nashville si l’occasion se présente ?
J’aimerais bien y retourner, c’est sûr. Je garde un super souvenir du studio où j’ai enregistré, du patron qui m’avait prêté sa guitare. J’étais comme un poisson dans l’eau.
Pourquoi as-tu choisi la guitare douze cordes sur cet album, au détriment, ou presque, de la guitare électrique dont tu joues pourtant plus que bien ? A un journaliste des Inrocks, tu as carrément dit que « La guitare électrique, c'est un instrument de droite. La douze cordes, ça laisse plus de place, ce serait plus à gauche ». Voilà qui demande explication.
(Grand rire) J’ai dit ça pour rigoler ! Mais on ne peut pas rigoler avec les journalistes ! Pourquoi j’ai choisi la douze cordes ? Pour des raisons assez pragmatiques. Souvent, en studio, c’est cette guitare que je prenais pour faire découvrir mes chansons aux musiciens, qui trouvaient son acoustique beaucoup plus sonore que celle d’une six cordes. J’ai donc pris l’habitude de me servir de la douze et j’ai commencé à enregistrer avec. Au bout de deux ou trois chansons, j’ai eu envie de continuer. Et j’ai tout fait à la douze, sauf sur un titre ou deux où j’ai pris la six. La douze, en fait, au départ, c’est une histoire de commodité pour communiquer avec les musiciens. J’arrivais en face d’eux et je leur chantais mes trucs en m’accompagnant de cette douze qui est très musicale et qui envoie beaucoup de son. C’est une Takamine de première génération que j’ai ramenée de Tucson, lorsque j’ai travaillé là-bas avec les Calexico. C’est John qui l’a choisie pour moi.
Quand on regarde ceux et celles avec lesquels tu as travaillé, on prend conscience que tu as un fameux carnets de contacts.
(Rire) Normal. Avec les années, je rencontre des gens !
L’organiste Slim Batteux a enregistré l’album avec toi et t’accompagne en tournée. Dans l’intro de Haut Arverne, j’ai cru entendre fugitivement sous ses doigts le fantôme sonore de A whiter shade of pale de Procol Harum. Mais c’est peut-être juste l’effet orgue Hammond…
C’est l’effet orgue Hammond, bien sûr. Mais, souvent, j’ai parlé aux musiciens de Procol Harum. Même en voiture, des fois, je me passe des disques de ce groupe. Il y a quelques jours, par exemple, je me suis mis Conquistador. J’ai toujours beaucoup aimé Procol Harum. Ce n’est pas qu’il soit sous-estimé, mais il est un peu oublié aujourd’hui. Pourtant, à la réécoute je trouve que ça n’a pas pris une ride ; au contraire, ça s’est beaucoup bonifié. Ça fait partie de mes références, tu tombes très/très bien, Jean.
Il y a beaucoup de chœurs amples et aériens dans ton album. Comment est née cette idée ?
Je crois que c’est en écoutant les prises avec la douze cordes. Je trouvais ça assez américain, et j’ai voulu traiter les chœurs un peu comme dans la variété de là-bas, celle des années 60/70, où les chœurs sont très forts. Aymeric, qui produit l’album, n’était pas d’accord au départ et m’a répété : “c’est trop fort, c’est trop fort”. Jusqu’au moment où je me suis carrément fâché avec lui. J’ai dit : “j’en ai marre d’avoir des chœurs toujours un peu noyés. Je veux qu’ils participent, qu’ils soient moteurs”. Donc, on a conçu les chœurs comme je les aime beaucoup chez Crazy Horse, ou Crosby. Avec mes musiciens, on a fait ça pendant un week-end. On a fait la java pendant deux jours, puis on a enregistré autour d’un micro unique. Direct, sans reprendre les choses ; à l’ancienne, quoi.
Grand lièvre a été mis en boîte aux studios La Fabrique, à Saint-Rémy-de-Provence. Le bâtiment abrite, paraît-il, une collection de 200 000 vinyles de musique classique.
Oui, c’est la collection d’Armand Panigel, qui travaillait à France-Musique et qui avait la manie de la collection. Pendant cinquante ans, il a amassé des vinyles du monde entier. C’est Pierre Bergé qui a racheté le fonds, désormais réservé aux musicologues, et qui le gère. C’est entreposé sur plusieurs niveaux. Le lieu est absolument fascinant.
A quelqu’un qui t’interrogeait là-dessus, tu as répondu : "On a enregistré au milieu de tout ça. J'étais dans le coin Ravel et Tchaïkovski, c'était fantastique." Avoir autour de soi autant de vinyles, ça fait quoi ? Ça pèse dans la tête ? Ça induit presque des choix esthétiques ?
Inconsciemment, je pense que oui. Ça oblige à une certaine tenue. On était beaucoup plus dans la musicalité que si on avait enregistré dans un endroit high tech ou assez impersonnel. Le cadre a joué beaucoup dans ce sens-là. Dès que tu ouvres les yeux, tu ne vois que des vinyles. Tu ne perds jamais de vue que tu fais de la musique et que c’est l’émotion qui compte. On n’était pas dans la fabrication, ou je ne sais quoi ; on était vraiment dans la musique.
Photo Frank Loriou
Quand on connaît ton travail, pas besoin d’être grand clerc pour ressentir la mélancolie crépusculaire et ce sens de la perte douloureusement crèvecœur qui habite nombre des chansons de ton album. Ce n’est pas nouveau chez toi, mais ça n’a jamais, à mon sens, été aussi prégnant. C’est aussi ton sentiment ?
(Long silence et soupir) Quand je chante ces chansons sur scène, j’ai l’impression que c’est beaucoup mieux tenu en matière de textes. Je vois les choses beaucoup plus franchement. Ça doit tenir aussi à l’âge, à tous les problèmes que j’ai connus : familiaux, décès, hospitalisation. La sensation de vivre devient plus efficace et plus visible parce qu’on voit bien comment les choses se défont, comment disparaissent les sentiments, les êtres, les souvenirs, tout ça. (Silence) Des fois, il m’arrive de dire à la maison : “maintenant, je ne voudrais plus vraiment faire des disques, mais simplement enregistrer des samples, des passages ; ce qui me semble essentiel, quoi”.
Explication…
(Silence) Je ne sais pas, ça se mélange un peu. Pas facile à expliquer. Prends le titre Haut Arverne, par exemple. Quand je le chante sur scène, avec ces rêves d’hiver à l’harmonium, je le ressens particulièrement fort à chaque fois. (Il fredonne) « Les malheurs couvés par le vent ». Ici où je vis, il y a toujours du vent. C’est comme si, petit à petit, l’âge aidant, on pressentait que le vent peut être une couveuse de malheurs ; beaucoup plus dense. Le souffle de l’air devient moins innocent qu’il l’était avant.
Est-ce que c’est pour ça que ta carte du Tendre, si je peux l’appeler comme ça, si présente dans tous tes albums, me semble nettement moins en avant que d’habitude sur cet album ?
Je fais de plus en plus des disques de papa, si tu veux. Papa d’une fille, en plus. Elle et son frère me posent des questions, me demandent : “qu’est-ce que ça veut dire, ça ?”. Donc, pour eux, j’aborde moins frontalement un certain nombre de thèmes amoureux que j’ai beaucoup explorés. Dans le même ordre d’idée, j’ai longtemps fait beaucoup de peintures sexuelles. Maintenant, les enfants peuvent rentrer à n’importe quel moment dans mon atelier quand je travaille. J’ai acquis une sorte de pudeur, quoi.
L’âge de tes enfants ?
Justine à 7 ans et Gaspard 4 ans. C’est vrai que le rôle de papa rend un peu pudique. Mon côté aspic disparaît.
A un journaliste de La Libre Belgique qui te demandait si ton nouvel album n’est pas « l’adieu à un certain monde », tu as répondu « oui ». De quel monde parles-tu ? De celui qui craque un peu partout sous nos yeux ? De celui, plus personnel, d’avant ta dépression et ton opération de la vésicule biliaire ? En clair, fais-tu allusion au temps qui passe inexorablement, au deuil d’une certaine insouciance, au démaillage irrépressible d’un “paysage” qui t’est cher (je pense à Vendre les prés), à la non-concrétisation d’une partie de tes rêves ? Explication, si tu veux bien.
(Silence) Je crois que c’est plutôt une sorte de désenchantement. Je n’aurais jamais pensé que la chanson puisse perdre la main. J’ai l’impression qu’on est dans un monde - j’ai beaucoup de mal à comprendre - où la chanson n’a plus son rôle à jouer. Je pense que tu pourrais dire la même chose que moi : on est d’une génération où on pensait que la chanson pouvait réparer les âmes, réparer le cœur, réparer la vie quoi, presque réparer le destin ; une espèce de résilience par le chant ; j’ai la sensation que, maintenant, tout se mélange… Il faudrait être sociologue, tu vois, mais c’est comme s’il n’était plus possible d’enchanter les choses, de les chanter, de les enchanter, de les transformer en quelque chose d’autre. Je suis un peu stupéfait de voir ce processus-là se dérouler. Une certaine façon d’être en chantant, en aimant la chanson, en aimant la musique, qui nous rendrait un peu has been, un petit peu décalés. Moi, si ça ne va pas, je peux m’enfermer une heure à écouter les Stones ou je ne sais quoi, et je sors requinqué. Cette fonction-là n’existe plus. Comme si la musique qu’on aime était devenu un bruit de fond et que ce bruit de fond n’avait plus aucune incidence, aucune influence sur les âmes ; que notre amour du chant et de la chanson fait de nous des hommes un peu perdus, un peu dépassés par une sorte d’inhumanité qui ne sait plus enchanter les choses. D’où ce désenchantement à vouloir enchanter les choses. C’est comme si les gens étaient suffisamment bons chanteurs eux-mêmes et n’avaient plus besoin des chansons pour enchanter leur journée.
C’est vrai que l’instantanéité d’aujourd’hui, générée par Internet, a largement perverti les notions de désir, d’attente… Regarde le nombre de titres disponibles immédiatement et gratuitement, sur des sites de streaming comme Deezer ou Sopitfy : des millions. C’est magique et fou à la fois.
D’accord avec toi, hélas. Ce qui est dommage, je pense, c’est que ça va mettre deux ou trois générations à se rééquilibrer. Nous ne serons plus là pour voir ce renouveau. On vit vraiment la période la pire qu’on puisse connaître pour cet art populaire qu’on aime tous les deux. C’est 1939 dans la chanson. C’est ça qui me mine plus que tout le reste, je crois. L’idée que je mets le meilleur de mon énergie, de ma foi, de ma détermination, dans quelque chose qui, finalement, est peut-être bien caduc.
Caduc, je ne pense pas. Je crois très fort au balancier : ça s’en va et ça revient…
Tu crois ?
Ça ne reviendra pas sous la même forme, forcément. Mais quand je vois et j’écoute ce qui continue à germiner et proliférer derrière le rideau médiatique, le plus souvent en autoproduction, sans distribution ou presque, j’ai la sensation que rien, jamais, ne pourra étouffer ça. Parce que c’est un besoin essentiel.
Bien sûr, moi aussi je reçois beaucoup d’albums autoproduits, mais personne ne les écoute. Pour finir là-dessus, je me dis de plus en plus que si je continue à enregistrer des disques, ils doivent témoigner de ce désenchantement et de ce désarroi. S’ils ne témoignent pas de ça, ils ne sont pas vivants, quoi.
Deux de tes chansons, Sans pitié pour le cheval et Rémi est mort ainsi, font référence aux dernières guerres mondiales. La mort, là encore. Pourquoi ?
Je n’ai pas d’autres explications que ça : je crois que j’ai d’assez bonnes antennes pour sentir le vent. Or, je sens venir des temps de guerre. Je le ferai de plus en plus : c’est comme s’il fallait se préparer à des guerres, voilà. Je ne peux pas en dire plus ou moins, c’est mon instinct qui me dit ça. Comme si la chanson pouvait porter ça aussi. C’est à dire que 14-18 et 39-45, ça reste toujours pour moi des énigmes. Je sais que ça a affecté beaucoup ma famille. Tu sais que mon nom d’état-civil, le Jean-Louis Bergheaud d’origine, est mort en 1918. Mon homonyme a fait 14-18. Beaucoup de gens de ma famille ont été dans la Résistance, aussi.
Et Rémi, de Rémi est mort ?
C’est juste en référence à Colette et Rémi, parce que j’ai appris à lire et écrire avec cette méthode de lecture. Mes enfants n’apprennent pas du tout de la même façon. En tous cas, ce n’est plus Colette et Rémi !
J’adore ta chanson « Je voudrais me perdre de vue/me décaler d’un demi-ton/ouvrir mes tubes de couleur/comme avant-avant l’accident ». Comment est né cet autoportrait ?
Ça, ce sont des sensations qui viennent du plus profond de ma dépression. Cette chanson a été écrite dans ce contexte-là. On est dans un certain état et il y a un élément déclenchant. Là, cet élément c’est le fait que j’ai été mal soigné, en tous cas pas avec le traitement approprié. Je suis rentré chez moi beaucoup trop vite et j’ai bien cru y rester. J’ai cru devenir dingue. C’est sûrement ça que j’ai vécu comme un accident, quoi.
Pour le goût de la madeleine. 1991, le col de la Croix-Morand”
Scéniquement, comment ça se passe sur cette tournée-ci, avec Stéphane Reynaud (batterie), Fred Jimenez (basse) et Slim Batteux (orgue) ?
Très bien. C’est très tonique, ça sonne groupe, comme j’aime. Tout le monde est très Bill Withers, Creedence, nos groupes de légende. On parle d’Al Green et d’autres, et on essaie de le faire comme eux. Avec ma guitare, j’amène là-dedans un côté un peu plus psychédélique, un grain de folie.
Je me souviens de ton enthousiasme au retour de Nashville, pour Le cours ordinaire des choses. « Tu verras, c’est mon plus bel album », m’avais-tu dit. J’ai effectivement adoré, mais une partie de ton public n’a visiblement pas suivi, à la hauteur que tu attendais, en terme de ventes. Tu as des éléments de réponse, ou te ne comprends pas ?
Sincèrement, ça reste assez incompréhensible pour moi. Je ne sais pas. Je ne peux pas dire que l’accueil commercial soit formidable sur le nouvel album non plus. Je reste un éternel outsider. Le succès me fuit. Peut-être que je me débrouille aussi pour ne pas en avoir assez. Ecoute, vaille que vaille, comme il y aura toujours un label ou une maison de disques qui me permettra d’enregistrer, je ne cherche pas non plus le succès à tout va. C’est la réalité. Je suis comme je suis. Enfin, tu me connais bien maintenant. J’essaie de rester comme je suis, de faire les choses comme je les aime. Ça me plait bien. Pour le reste, tant pis.
Est-ce que tu es toujours habité par ce que tu appelles tes “saintes colères” ? Tes cibles ont changé ou ce sont les mêmes ?
Tu sais comme je suis, assez soupe au lait. Quand on me cherche, on me trouve. Ce n’est certainement pas ce qu’il y a de mieux dans ma personnalité, mais c’est comme ça. C’est mon côté “bourboulien”, que je déplore des fois. Mes enfants sont comme ça aussi, figure-toi : quand on les cherche, on les trouve.
J’ai lu que tu vas écrire un titre pour Indochine. Apparemment, tu aimes plutôt bien Nicola Sirkis…
Je l’aime beaucoup, oui. Je lui ai déjà envoyé plusieurs chansons. J’ai bien peur que dans cent ans, quand on fera le point sur ce qu’on peut appeler le rock français, sans porter de jugement de valeur, je pense que Nicola sera celui qui aura traversé le plus de périodes, qui aura tenu la barre le plus longtemps et le mieux possible. Je suis très fasciné par l’endurance et la détermination. Son endurance et sa détermination à lui font qu’Indochine est sûrement l’exemple le plus remarquable dans ce qu’on peut appeler le rock français.
Ecris-tu pour d’autres en ce moment ? Tu as des propositions ?
Ecoute, comme je suis un peu sur la paille, dès qu’on me demande une chanson je l’écris ! En ce moment, il n’y a rien de précis. J’attends que ça vienne. Comme j’aime beaucoup Patricia Kaas et que je la suis depuis très longtemps, j’aimerais écrire des chansons pour elle, mais je ne sais pas si ça va lui plaire.
Tu lis quoi et tu écoutes quoi en ce moment ?
Là, je lis un livre d’aphorismes – c’est d’ailleurs son titre - d’un auteur autrichien qui s’appelle Karl Kraus. Sinon, j’écoute une compilation de Sam and Dave.
Tu sais que je les vus à Paris, au Pavillon Gabriel, il y a une éternité ? A l’époque, je n’avais pas mesuré ma chance.
Veinard !
C’est ce qu’on peut appeler, si on peut dire, le “privilège” de l’âge.
Hé oui, on a vu des choses que les autres n’ont pas vu. Moi j’ai vu les Doors avec Jim Morrison. Ceci dit, j’ai loupé Led Zep pour une connerie.
Pour conclure, une citation. « S'il faut un jour se plonger dans l'historique foisonnement des articles et des flots de paroles de Jean-Louis Bergheaud pour en tirer une infime vérité, il faudra sans doute jouer de l'"alt+suppr" sans grand discernement... et filer direct vers les articles signés B. » Bayon, bien sûr. Que penses-tu d’une phrase comme celle-là, parue dans le Libé du 23 septembre ?
Je n’avais pas lu ça. Je ne sais pas qu’en penser. Il faudrait lui demander, à Bayon. Ça vaudrait le coup ! S’il te répond, tu me fais suivre ?