Bob Dylan à Nantes : vivant à nouveau
C’est au Zénith de Nantes, archicomble (8000 pékins quand même), que sa Majesté Dylan à donné hier soir le dernier concert d’un court intermède français, avant de faire deux pauses en Irlande et de remettre ça aux USA. Au rythme moyen annuel de 200 prestations, depuis qu’en 1988 il inaugura son “Never ending Tour”, on peut dire que Big Bobby ne quitte plus guère la scène où, peut-être, il rêve de rendre l’âme un jour, en direct, en plein milieu d’une de ces reprises tordues dont il a le secret. Pour l’instant, ça va bien pour lui, merci. Et pour nous aussi, thanks again. On peut même, en ce matin de juillet 2010, allumer un cierge à l’ange qui veille sur notre héros, toujours aussi imprévisible entre chaos et flamboyances. Pas de chaos cette fois-ci, mais 1 h 50 pilpoil de musique vivante, excitante, résolûment blues’n rock, avec quelques implants de country, tex-mex, voire gospel ou rockabilly.
Pour être tout à fait juste, on a craint un peu quand le marathon a démarré sur un Leopard skin pill-box hat épais sur la tranche, vitaminé à souhait, mais très mal servi par une sono brouillonne. Sous les lumières, et en l’absence de tout décor (seules trois ou quatre projections géantes sans grand intérêt rythmeront la soirée), ça avait pourtant de la gueule, pour qui n’apprécie pas spécialement les grands messes à effets. A droite, debout derrière un petit orgue Farfisa au son vintage, le maestro lui-même, chapeau plat de fier hidalgo sur le crâne, pantalon noir slim décoré de deux bandes rouges. De gauche à droite de la scène, cinq musicos en costume gris (deux guitares, une slide, une basse et une batterie), au milieu desquels Charlie Sexton (info puisée dans les commentaires, faute d'avoir déniché ça sur le Net), un jeune trublion surdoué de la six-cordes à qui on doit certainement d’avoir “réveillé” Bob, au point de multiplier de brefs duels instrumentaux avec lui ; ce qu’on n’avait plus vu depuis une éternité.
Dès It ain’t me babe, le second morceau, attaqué sur tempo lent et… quasi méconnaissable, le son a commencé à se faire plus précis, plus rond, plus rentre-dedans, et on a senti que la voix si particulière de Bob retrouvait ses marques. On est passé à l’étage au-dessus avec Stuck inside of Mobile (et non Subterranean homesick blues, comme je croyais l'avoir repéré: lire commentaire d'Antoine en bas de page) illuminé par une belle séquence de slide. On a carrément fondu sur une magnifique version de Just like a woman (et non, deuxième erreur impardonnable de ma part, Sad-eyed lady of the lowlands), entamée sur une longue et émouvante intro instrumentale et, mais oui, enrichie d’un premier zeste d’harmonica. Et puis, et puis, et puis, on s’est laissé aller, tant la fête devenait belle ; du moins pour ceux qui ne s’étaient pas déplacés avec une image pieuse du Dylan old time. Car il y en avait forcément, dont une poignée est sortie et un quarteron déstabilisé a cherché à se consoler au bar après que les lumières se soient rallumées.
A Carcassonne, le 28 juin, il avait revisité “Mr Tambourine man”
Les autres, c’est à dire la quasi totalité du Zénith, plusieurs générations confondues (c'est fou ce qu'il y avait comme moins de 30 ans!), ont fait un triomphe à Dylan et son Band. Même les fins connaisseurs n’ont pas reconnu certains titres (lire la setlist complète, postée en commentaire par Loïc), mais ils n’en ont visiblement pas voulu à leur interprète tant c’était du haut de gamme. A l’image d’une ballade percussive, habillée d’une obsédante “tournerie” de banjo et d’une vraie contrebasse. Mais quand un morceau comme Visons of Johanna, revisité tout en finesse, mi-acoustique mi-électrique, était repéré, c’était l’ovation. De temps à autre, je ne pouvais m’empêcher de penser que ce concert-là, c’est exactement celui dont rêvent depuis des années, pour leur grande scène, les programmateurs des Vieilles Charrues. Par moment, c’est en authentique frère prêcheur que Dylan psalmodiait ses poétiques incantations et on se disait qu’on avait la chance d’avoir tiré le gros lot ; c’est à dire un bon concert. La version nantaise de Highway 61 était superbe. Celle de Ballad of a thin man, tout simplement bouleversante. Celle de Like a rolling stone, un peu plus ralentie que l’original, un tantinet nostalgique. Quant au lampion final, on mit un certain temps à deviner qu’il s’agissait de… Blowin in the wind. S’il restait encore dans la salle quelques folkeux puristes, ils ont probablement frôlé la crise cardiaque. Les autres, dont moi, avaient presque la larme à l’œil devant tant de culot. Chez le sculpteur César, on aurait appelé ça une “compression”. Longue vie au Commandeur, Forever Young comme on n’osait plus y croire. Surtout, qu’il ne change pas trop tôt ses musiciens actuels, « les meilleurs que j’ai eus depuis 50 ans », dit-il (ce qui n’est pas très sympa pour ceux du Band des sixties) : ils sont nickel chrome, suivent le Guide Suprême au moindre de ses frémissements et semblent vraiment avoir redonné vie et plaisir à la statue de cire. Merci encore pour tout, cher Bob l’éponge…